Introduction
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Le plus dur est-il à venir ? Si, sur le dernier exercice clos, les entreprises ont plutôt bien tiré leur épingle du jeu dans un contexte mouvementé, celui en cours laisse très perplexe avec de fortes retombées attendues de l’inflation, notamment pour le poste énergie qui devient une préoccupation prioritaire pour les entreprises. La campagne actuelle va demander des cadres de gestion rigoureux, tout comme pour l’exercice 2021-2022 qui a exigé de grands efforts de gestion, comme le fait remarquer Antoine Pissier, président de la Fédération du négoce agricole : « On s’est retrouvé dans des situations inédites où il fallait gérer en même temps des problématiques de délai d’appro, de logistique, d’explosion des cours des engrais et de volatilité des céréales colossale. Il a fallu de la rigueur dans le cadre de gestion et bien définir le niveau de risque que l’on s’autorisait. » Et ce fut franchement stressant, comme le fait remarquer François Gibon, directeur de la FNA : « Les dirigeants ont eu la trouille au ventre sur les marchés ; c’est un travail énorme de suivi et de pilotage de l’activité de commercialisation et de couverture. »
C’est pourquoi certaines entreprises ont pris le parti d’une organisation plus collégiale afin de partager les analyses et répartir la charge des prises de décision. Xavier Bernard, président du groupe Bernard (et secrétaire de la FNA), a mis en place une telle configuration depuis février 2022 (lire ci-dessous) qui apporte « plus de sérénité ». C’est aussi une option prise par la coopérative Cavac pour la gestion de ses achats d’énergie mise entre les mains d’un pool d’acheteurs qui partagent ainsi les décisions.
Garder une relative sérénité va d’ailleurs être plus que nécessaire pour aborder une année 2023 s’annonçant compliquée avec son lot de charges galopantes, qui vont finir par obérer la santé financière de certaines entreprises si la situation perdure dans le temps. « + 15 % en transport hors carburant, + 3 à 6 % de hausse de la masse salariale pour aider les collaborateurs à faire face à l’inflation, et le poste électricité, qui, selon les conditions d’achat, va passer de 1 à 4, voire 10 chez certains. Et tout est à l’inflation chez nos fournisseurs, les sous-traitants… », listait, début décembre, Antoine Hacard, président de La Coopération agricole Métiers du grain, dans une interview accordée à Agrodistribution.
Des BFR qui explosent
Sans oublier les frais financiers qui explosent avec d’importants besoins en fonds de roulement en engrais et pour l’activité en général, du fait de l’inflation et du risque de manque de disponibilité des intrants qui pousse à l’anticipation. « Mon entreprise a dû anticiper des achats de phytos en mai 2022 pour mars 2023. Ce qui nous oblige à six à neuf mois de financement en plus », relate Antoine Pissier. Le BFR peut devenir vite significatif. Et il y a quelques mois, il avait pris une allure vertigineuse face aux sommes énormes qui étaient à mobiliser pour les déposits et l’appel de marge exigés dans le cadre du Matif. « Un travail collectif avait été alors fait avec Bercy afin que les banques suivent », souligne François Gibon. Une telle démarche a permis d’accélérer les process. « Mon entreprise a pu obtenir un PGE de 20 M€ en moins de dix jours », relatait Xavier Bernard, lors du congrès FC2A.
C’est un vrai chamboulement de paradigme depuis deux ans dans le secteur. « Au quotidien, c’est un changement radical avec des tensions sur les marchés d’appro, voire des ruptures. Nous devons tout mieux anticiper, prévoir et réajuster. Notre métier devient un métier d’orfèvrerie », constate Régis Morvan, dirigeant du négoce Douar Appro. L’anticipation devient une règle d’or. « Aujourd’hui, la volonté de la distribution agricole est de faire remonter le plus vite possible les besoins des agriculteurs pour mieux s’adapter et s’organiser ensuite », observe Vincent Bernard, délégué régional de Négoce Ouest. La situation est devenue telle que les entreprises soufflent « quand les produits sont enfin chez nous », nous confie un directeur appro d'une coopérative.
Travailler le grain de nuit
Face à cette situation complexe, amplifiée par des cotisations d’assurance réajustées ou de C3S en forte hausse pour les négoces, puisque celle-ci est calculée sur le CA, quelles sont les marges de manœuvre pour les entreprises ? Agir sur les marges en amont et en aval dans la mesure où c'est possible, rationaliser les charges. Voire reporter certains investissements. « Si nous ne revenons pas aux niveaux de prix d’énergie antérieurs, il va falloir modifier nos pratiques, nous glisse un responsable énergie. Et pour négocier les contrats, il s’agit de ne pas se tromper, surtout sur du 36 mois : il faut être certain de pouvoir amortir cette charge et prendre alors la bonne position. »
Cependant, ces marges de manœuvre semblent assez étroites, notamment en appro-collecte. « Les livraisons et la collecte sont déjà plutôt bien optimisées. Pour le stockage des grains, une fois que l’on maîtrise la ventilation, il y aura toujours besoin quand même d’un minimum d’énergie », précise Vincent Bernard. En effet, comme le décrit un dirigeant, « nos équipes sont appelées à être vigilantes sur le fonctionnement des équipements. Si nous arrivons à gagner 5 %, ça sera une belle performance ».
« Si on gagne 5 %, ça sera une belle performance »
Toutefois, pour limiter les factures d’électricité, dans la filière céréalière, de nouveaux modes opératoires sont en réflexion, comme en fait part Antoine Hacard : « Pour certaines coops dont les contrats énergie sont renouvelés en janvier, les façons de travailler pourraient changer : préparer du grain la nuit, éviter de charger aux heures de pointe du tarif d’électricité. Cela pourrait modifier les conditions de travail, les horaires des salariés, les lieux de chargement. » D’autre part, LCA a relancé son groupe de travail sur l’efficacité énergétique ; 6 % pourraient encore être gagnés en IAA.
Quant aux aides énergie, deux dispositifs sont proposés aux entreprises : l’aide d’urgence, en vigueur depuis l’été dernier, avec trois seuils de 4 M€, 50 M€ et 150 M€, et l’amortisseur électricité à partir de janvier 2023, pour un an. Pour la première, un nouveau décret a été signé le 16 décembre sur les dernières évolutions de ce dispositif aux critères d'éligibilité peu accessibles pour la profession. Un simulateur de cette aide est disponible sur le site impots.gouv.fr. L’amortisseur doit faire également l’objet d’un décret et d'un simulateur. Destiné aux PME et TPE non couvertes par le bouclier tarifaire, l’outil semble complexe pour une prise en charge de la facture qui s’établirait finalement entre 10 et 20 %.
« Nous sommes au pied du mur »
« Nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusion au sujet de l’accessibilité des aides d’urgence pour nos coopératives : très peu sont éligibles. De plus, les PME dépendant d’un groupe ne peuvent prétendre à l’amortisseur électricité », souligne Virginie Charrier, responsable environnement et énergie de LCA. De ce fait, « nous avons l’impression d’être au pied du mur. Dans la filière céréalière, les coops sont entre le marteau et l’enclume avec des cahiers des charges qui exigent de moins en moins de produits phytos et le besoin alors de ventiler qui demande de l’énergie ».
De son côté, Antoine Pissier se bat pour que « la référence prise pour les aides soit l’Ebitda ou la marge », afin d’ouvrir leur plus grande accessibilité. Cependant, des négoces vont étudier leur chance avec les dispositifs actuels, d’autant que la FNA avait organisé le 12 décembre un webinaire réunissant une cinquantaine d’entreprises autour de représentants de la DGE et de la DFPI pour décortiquer ces aides. Après avoir offert le 1er décembre un congrès axé sur l’énergie, très riche en contenus et contacts.
Cette conjoncture inflationniste tombe au moment même où la nouvelle Pac est entrée en œuvre au 1er janvier. Coopératives et négoces se sont investis ces derniers mois pour informer leurs équipes et les agriculteurs des nouvelles dispositions communautaires. Les efforts engagés semblent payants à la lecture de notre enquête Agrodistribution-ADquation (infographie ci-dessous) puisqu’ils sont 59 % d’agriculteurs à être au courant de l’impact de la Pac sur leur exploitation, contre 33 % l’an dernier. Les moins bien informés sont plutôt originaires du Sud. Ce que confirme Nicolas Pugeaux, du Naca en Nouvelle-Aquitaine, qui anime des réunions d’information et de formation sur la Pac. « Les agriculteurs de mon territoire ne semblent pas bien informés sur le sujet », observe-t-il. Depuis octobre, il a animé six réunions auprès de 250 agriculteurs à la demande de négociants et formé 70 techniciens via l’organisme de formation, Asfona. « Lors de ces sessions, de nombreuses questions portent sur les assolements et leur optimisation, la conditionnalité de la Pac et les éléments favorables à la biodiversité », ajoute-t-il.
LCA enquête sur la Pac
Pour sa part, La Coopération agricole a entrepris une vaste enquête dans son réseau. « Chaque section métier interroge ses coopératives adhérentes à propos de la mise en œuvre de la nouvelle Pac et la façon dont les entreprises se projettent. Nous aurons des retours dans les premiers mois de 2023 », annonce Claire Martin, responsable du bureau européen de LCA, qui se mobilise particulièrement sur une nouvelle mesure en faveur des filières (lire ci-contre). Quant à la mise en application de cette nouvelle Pac, les pouvoirs publics ont été sollicités pour « produire des guides pratiques afin d’améliorer la sécurité juridique des réglementations et en préciser leurs contours ».
Parmi les autres sujets réglementaires suivis par la profession, des textes correctifs d’EGalim 2 sont très attendus notamment sur le volet de la contractualisation qui vient perturber une organisation historique en la matière dans la filière grains. « Nous espérons que cela se réglera à la mi-janvier », annonce Catherine Matt, directrice de LCA Métiers du grain. Le projet d’abaissement des seuils de déclaration pour le stockage d’ammonitrate haut dosage a amené à diligenter une mission interministérielle à l'automne 2022 qui devait en faire un retour. Et sur la question épineuse du conseil stratégique en phytos à réaliser avant fin 2023, le CGAAER a été missionné afin de dresser un bilan sur la mise en œuvre de la séparation conseil et vente en phytos. L’insuffisance de l’offre de conseillers inquiète alors que le renouvellement Certiphyto des agriculteurs en dépend. Des agriculteurs qui ont par ailleurs pour certains perdu leurs repères et adoptent de nouveaux comportements qui perturbent les TC. Ce qui fait dire à Xavier Bernard que, « dans ces périodes de turbulence, le management doit passer du temps avec les équipes ».
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Le palmarès des coops et des négoces 2023
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